Prendre rendez-vous avec Gainsbourg, c'était rayer une journée de son agenda, la nuit qui suivait et parfois même le lendemain. Quand il ouvrait la porte du 5 bis rue de Verneuil, toujours la même question: «Qu'est-ce que tu bois p'tit gars?». Quand j'ai réussi à l'entraîner au Louvre, nous étions à jeun. L'art - les arts majeurs comme il disait - avait ce pouvoir de lui redonner sa peau de Lucien Ginsburg. Il oubliait ses Gitanes, et n'avait pas son pareil pour évoquer les infantes malades de Vélasquez. Un autre jour, il me lisait le scénar de Stan The Flasher, quelques mots qui flottaient sur une page blanche, griffonnés à la hâte, au terme d'une nuit agitée. Quand on sonnait à la porte, il préparait un pascal si c'était un coursier; une bouteille de bourbon si c'était le patron du resto; les menottes et les balles si c'était les flics. Autant dire qu'on ne s'ennuyait jamais avec le lascar.