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Le 26 mai 1828. Kaspar Hauser lit son apparition sur une place de Nuremberg. Ce jeune homme, qui semblait avoir 16 ou 17 ans, savait à peine marcher. Il n'avait pas cinquante mots en bouche et ne pouvait dire d'où il venait, ni où il allait. On l'aurait dit échappé de la Caverne de Platon. Il demeure à ce jour l'un des plus célèbres « enfants sauvages ».
Ayant grandi séquestré, coupé de tout contact humain, il fut arraché à une nuit insondable pour naître au monde une seconde fois. Rien ne le rattachait à son époque, pas même à un groupe social ou une génération. Kaspar ignorait Jusqu'à la différence homme-femme. Il habitait un corps étrange et dissonant, vierge de toute socialisation. On découvrit bientôt sa sensorialité inouïe, sa vie émotionnelle intense. Du moins jusqu'à ce qu'il apprenne, douloureusement, les moeurs et usages de son temps, non sans être devenu, la rumeur enflant, l'orphelin de l'Europe.
Le plus probable est que Raspar Hauser ait été un prince héritier, écarté d'une succession par une sombre intrigue de cour. Son assassinat, cinq ans plus tard, semble le corroborer. Le plus intéressant, toutefois, ne réside pas tant dans le mystère de ses origines ou l'énigme de sa mort que dans la capacité de cette histoire tragique, aux accents oedipiens, à en dire long sur la culture, sur nos façons d'arraisonner le monde. L'examen approfondi de cette trajectoire aberrante révèle aussi, par son anomalie même, jusqu'à quelles secrètes profondeurs le social et l'histoire s'inscrivent d'ordinaire en chacun de nous. Ce qui laisse soupçonner derrière cette vie minuscule un cas majuscule des sciences humaines et sociales.