Ce que l'écrit fait au sujet parlant
Qu'est-ce qu'apprendre à écrire à l'école quand on parle déjà dans sa famille ? Qu'est-ce que cela change ? Les habitudes de parler, de penser, de concevoir, ou rien ?
L'anthropologie de l'écrit, par la notion de « littératie », permet de faire du « rapport au langage » de chaque sujet énonciateur le lieu de la lutte contre les inégalités scolaires. Né dans la parole, ce rapport est réinterrogé par l'écrit, ce qui ne va pas de soi. Or, la réussite scolaire dépend de la transformation des pratiques langagières quotidiennes en pratiques littératiées, ce qui transforme le rapport au moi, au savoir et au monde.
L'observation des situations d'enseignement et l'analyse des productions écrites de lycéens montrent que la nature de cette transformation est énonciative dès un oral fondé sur l'écrit (Morinet, 2012), mais invisible à qui n'y est pas sensibilisé. Le défi à relever, à la fois intellectuel et empirique, n'est pensable que par une élaboration théorique tenant compte de l'hétérogénéité des interactions langagières dans les situations d'enseignement et des particularités énonciatives de la socialisation scolaire dont dépend le développement intellectuel. Le traitement de ces points montre que les sujets parlant acquièrent une flexibilité énonciative, induite par les pratiques écrites, dans l'appropriation, puis dans la construction des connaissances qui est une ouverture à un autre rapport à soi. L'enjeu démocratique de ce « jeu » dans le « je » est central à une époque où la tentation du communautariste augmente.