Quoi de mieux, pour essayer de «dire la Corée», que de s'adresser directement à l'un de ceux qui ont placé l'analyse de la coréité au centre de leur recherche. Le prosateur Yi Ch'ôngjun, décédé l'an dernier, y a consacré l'essentiel de son oeuvre.
En littérature, surtout chez lui, cela donne une tentative d'exprimer le han, mais pas sous sa forme de récupération nationaliste par le dictateur Pak Chônghûi, souvent reprise de façon non critique : il aurait exprimé la souffrance spécifique du peuple coréen, qui aurait toujours été victime des autres sans jamais être agresseur. Cette version cosmétique et lénifiante de l'histoire présentait, du point de vue de la dictature, l'intérêt de gommer en même temps le han interne, le mal infligé à certaines provinces, comme le Chôlla ou le Hamgyôngdo, au Nord.
Car cette rancoeur-rancune presque sans nom ni forme manifeste le poids des injustices accumulées depuis si longtemps qu'elles sont devenues une façon de vivre, sans pour autant pouvoir désigner un coupable spécifique. Chacun des personnages des fictions brèves que nous proposons est porteur d'un virus, d'un mal de vivre effrayant et tout sauf romantique, en même temps que d'une nécessité impérieuse de vivre, afin de ne pas céder au mal. D'où, me semble-t-il, une nécessité tout aussi vive, celle de transmettre.
Dans chacun des textes, il est question de transmission ou d'éducation, mais jamais en termes pédagogiques ou de racines.
Yi Ch'ôngjun n'est pas un écrivain confucianiste. Le passage de relais entre générations est tout sauf heureux, créatif, épanouissant. On nous parle de douleur. La métaphore de l'accouchement viendrait à l'esprit, si, dans le cas précis qui nous préoccupe, une autre ne s'imposait pas. Il s'agit de chamanisme, et ce n'est pas une religion heureuse. Devenir chamane n'est pas une vocation ni un épanouissement, c'est une fatalité qui s'abat sur la personne. Accéder à la voyance, à la capacité de lire le passé et l'avenir des autres, est toujours une douleur, en même temps qu'un processus d'apprentissage.