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«A vingt-sept ans je fis la connaissance d'Aragon et d'Elsa Triolet. Il s'ensuivit une amitié qui dura plus de quinze ans et qui se brisa sur des malentendus et des maladresses.
«Notre intimité culmina en 1957 lorsque les Aragon m'emmenèrent passer quinze jours avec eux en URSS. Ce fut pour moi un voyage extraordinaire, comme je n'en fis jamais d'autre et dont presque aucun détail n'est sorti de ma mémoire. On était en pleine période de "déstalinisation", c'est-à-dire que l'extérieur de la vie soviétique avait encore sa raideur et son aspect féodal, mais que l'on sentait partout renaître la liberté et même la Sainte Russie...
«Dans Les Voyageurs du Tupolev, je ne parle pas de politique mais je montre plutôt la manière d'être, le tempérament slave, les paysages, les moeurs, l'état des esprits et des âmes. Il ne m'a pas fallu moins de quarante-cinq ans de recul pour que tout cela se mette en place dans ma tête. Je me rappelle en particulier un piano à queue dans ma chambre d'hôtel.
«Un des souvenirs les plus charmants de notre amitié avec les Aragon est les déjeuners que nous faisions dans leur petit appartement de la rue de la Sourdière, non loin de l'église Saint-Roch. Ils étaient pleins d'une confiance, d'une familiarité, d'un naturel, d'une absence d'arrière-pensées comme il n'en existe qu'entre artistes.
«J'ai revu Aragon pour la dernière fois en 1981, au soir de l'élection de M. Mitterrand à la présidence de la République. Elsa était morte depuis plus de dix ans. Lui-même n'avait plus qu'un an à vivre. Je pensais que peut-être un jour j'écrirais un livre sur ce grand poète qui avait été, si longtemps, pour moi, un ami solide et, à sa façon (ou par son exemple), un maître.»
Jean Dutourd