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Comment pense l'institution médicale ?
Une analyse des codes français de déontologie médicale
« Quand rien ne consacre et ne justifie le pouvoir de l'un sur l'autre, personne ne peut comprendre que sa propre parole vaut moins que celle des autres.
Il n'y a plus de privilèges et il y a pourtant, dans nos siècles d'égalité, bon nombre de lieux où résiste l'autorité, toujours légitime, parfois contestée : celle du juge, celle du professeur, celle de l'expert, celle du médecin. Partout, le savoir est le plus sûr garant du pouvoir ; celui qui sait impose son autorité à ses semblables qui, dans les autres manifestations de la vie, sont ses pairs, et de cette autorité il tire l'assurance qu'il sera écouté s'il est expert, suivi s'il est médecin, obéi s'il est juge. L'autorité rassemble ces différentes figures, mais la manière dont elles sont sollicitées et suivies les distingue : la justice fonctionne pour l'essentiel sur le mode de la hiérarchie et, au moins en aval, sur celui de la contrainte ; la médecine ne peut connaître la règle de l'égalité, mais elle n'ignore pas celle de la liberté.
C'est cette association des deux règles qui intrigue et assigne à la médecine une place aussi originale dans la modernité. Attachée aux valeurs du libéralisme dans lequel elle voit la meilleure et d'ailleurs la seule manière d'assurer sa mission, l'institution médicale ne peut renoncer à ce qui fonde son autorité et assure la plénitude de son identité. Ces deux principes ont toutefois des sources différentes et n'opposent pas la même résistance à l'épreuve du temps : l'un s'ancre dans les fondements de la médecine, l'autre est un produit des temps modernes ; l'un se heurte aux demandes de transparence et d'information formulées par le patient, l'autre doit composer avec les contraintes publiques d'administration et de gestion de la santé. {...}
Comment la médecine est-elle parvenue à préserver l'essentiel de cette identité composite dans des temps si prompts à associer le pouvoir au privilège ? À concilier la liberté du privé et les contraintes du public ? À sauvegarder son unité malgré ce qui, de manière si évidente, distingue ceux qui l'exercent ? Elle l'a fait, nous dit Alexandre Jaunait, en se présentant comme une institution réunie autour de la réalisation d'un objectif commun. Comprise comme une profession, la médecine parle comme un nous, doté d'une morale et d'un esprit qui lui sont propres. {...}
Quand la recherche s'affirme avec autant de fermeté et de nuances, les frontières qui séparent les sciences humaines et sociales peuvent au moins provisoirement s'effacer et les bienfaits de la pensée politique être célébrés. »
Marc Sadoun