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Ce dernier livre de Siegfried Kracauer, resté inachevé à sa mort en 1966 et publié à titre posthume, est une réflexion ambitieuse et audacieuse sur la réalité historique comme sur la théorie de l'histoire. Kracauer s'y confronte, de façon aussi originale qu'incisive, aux traditions historiques allemande, française et anglo-saxonne. Pourfendant le mirage d'une histoire universelle comme les illusions des grandes chronologies linéaires, il défend la saisie d'un passé discontinu, fragmenté, entre restes et traces. En historien et en théoricien du cinéma, attentif aux questions de narration, il se penche également sur l'écriture de l'histoire, mise en parallèle avec le travail cinématographique.
D'une étonnante actualité, cette analyse subtile, qui circule avec aisance d'Érasme à Proust ou de Marx à Burckhardt et Marc Bloch, anticipe les débats les plus récents sur les rapports entre histoire et mémoire. C'est aussi une méditation très personnelle qui peut se lire comme une autobiographie cachée. Car pour Kracauer, l'historien comme l'étranger ou l'exilé doit accéder à un monde auquel il n'appartient pas. Partagé entre deux époques, celle dans laquelle il vit et celle qu'il étudie, il est condamné à errer entre les temps.