Comment du nazisme a-t-il pu tirer le salut des enfants fous ? Cette énigme est au cœur de la vie de Bruno Bettelheim. D'où les passions et les contestations qu'ont toujours suscitées l'homme et son œuvre.
Du plus célèbre des psychanalystes d'après guerre, nous ne savions presque rien. En cinq ans d'enquête passionnée, Nina Sutton a exploré les archives, interrogé les témoins et acteurs de cette vie hors du commun pour retracer toutes les étapes d'une destinée où se reflète le XXe siècle. L'enfance dans la Vienne de Freud ; l'antisémitisme ; la mort prématurée du père obligeant le jeune homme à abandonner ses études de philosophie ; un premier mariage douloureux ; une analyse commencée avec Richard Sterba...
L'Anschluss met fin à tout cela. Le 2 juin 1938, Bruno Bettelheim est envoyé à Dachau, puis à Buchenwald. C'est dans cet univers de mort que, paradoxalement, naît Bettelheim-le-psychanalyste, celui qui a compris la valeur de la vie psychique. Le survivant va se donner mission de distribuer cette richesse.
Bettelheim libéré, c'est l'exil dans l'Amérique des années 1940. Tout semble nouveau dans sa «deuxième vie» : langue, métier, famille...Mais les blessures anciennes ont bien formé le célèbre «Docteur B». L'Ecole orthogénique, ses travaux sur l'autisme, sur les relations parents-enfants, sur le totalitarisme, son interprétation des contes de fées - toute son œuvre ressemble à un long combat contre la mort et la folie. Avec émotion, rigueur et une remarquable intuition des tours que peut jouer l'inconscient, Nina Sutton a patiemement décodé les «belles histoires» de Bruno Bettelheim et écouté ses amis comme ses adversaires pour retrouver le fil d'un combat auquel rien de ce qui est humain n'est étranger.
Le 12 mars 1990, la dépression a fini par l'emporter sur le désir de vivre de Bruno Bettelheim. Mais même son suicide ne saurait occulter cette évidence : son œuvre est celle d'un homme qui n'a cessé de lutter pour la vie.