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François Mauriac a toujours pris le journalisme au sérieux. Il y avait dans chacune de ses chroniques quelque chose d'unique, un mélange électrique de talent et de coeur. La presse convenait à sa nature de grand bourgeois bordelais, catholique, moderne, chamailleur, curieux de tout et d'abord de son temps. Il reste l'inventeur et le modèle d'un journalisme essentiellement solitaire, même si généreux et tourné vers les autres, soucieux de les convaincre ou de les affronter.
Jean-Luc Barré a rassemblé ici les volumes successifs du Journal, ainsi que les recueils du Bâillon dénoué et des Mémoires politiques. Ces textes nous permettent de suivre l'écrivain dans son dialogue avec lui-même et dans la pluralité de ses engagements. Nous le voyons jouer de tous les registres de son talent et passer en « dix lignes », comme le disait Françoise Giroud, « du cri au murmure, de la colère au soupir, de l'actualité à l'éternel, du chuchotement à l'interpellation ». Le temps a passé, mais la vigueur est intacte, les mots pétillent sous la cendre. L'épreuve du temps, impitoyable pour les médiocres, est toujours l'alliée des natures complexes. À être lu loin de son époque, François Mauriac gagne encore en harmonie et en élégance et se hisse au niveau de Jules Renard, d'André Gide et de Julien Green, dans le sillage de Pascal et de Maurice Barrès. L'homme ne cesse de s'élever au-dessus de lui-même, de ses foucades et de ses mots. « Ni homme de parti ni dignitaire d'aucun régime », comme l'écrit Jean-Luc Barré dans sa préface, il s'est contenté d'être le témoin assidu de son temps. Et il nous apparaît maintenant comme il fut sans cesse, en réalité, à contre-courant, dérangeant, irritant pour tous les conformismes. Irremplaçable.
Daniel Rondeau