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Dans l'œuvre de Dino Buzzati tout entière dominée par la forteresse du Désert des Tartares élevée aux frontières du temps et de l'attente avec des mots de silence et de marbre, Un amour, c'est l'intrusion de la passion, c'est-à-dire du désordre : un homme nous est livré à nu, comme il s'offre aux coups de son bourreau ; pitoyable et tragique, il crie, pleure et s'agite dans les cercles de son enfer, possédé d'une folie où il se vautre avec désespoir et délices.
Pour dire l'amour insensé de Dorigo pour Laïde, la petite putain milanaise, Buzzati a inventé une nouvelle écriture, un nouveau style, à l'opposé de ceux de ses œuvres précédentes : une écriture et un style qui se contentent de jeter à l'état brut les pensées délirantes de son héros, sans aucune recherche, semble-t-il, avec des redites et des tâtonnements, comme si son premier souci avait été de se délivrer soi-même. C'est comme un cri, un aveu, une confession, et l'on est touché au cœur.
Ce nouveau Buzzati, pourtant, continue l'ancien : il ne parle que d'absolu ; et Dorigo attend, tout comme Drogo attendait dans le Désert des Tartares (la ressemblance des noms n'est pas fortuite), tout comme attendent et attendront toujours les hommes. Pour avoir quitté les hauteurs de la «fable», Buzzati n'a rien perdu de sa grandeur ; plus proche, il en est seulement devenu plus émouvant.