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Je considère les Mémoires de Casanova comme la véritable Encyclopédie du XVIIIe siècle, [...] ce grand vivant de Casanova qui connaissait tout le monde, les gens et les choses, et la façon de vivre de toutes les classes de la société dans les pays d'Europe, et la route et les hostelleries, les bordels, les tripots, les chambrières, les filles de banquiers, et l'impératrice de Russie pour qui il avait fait un calendrier, et la reine de France qu'il avait interviewée, et les comédiennes et les chanteuses d'opéra, Casanova qui passait aux yeux de la police pour un escroc dangereux et dans les salons pour un beau joueur ou un sorcier, le brillant chevalier de Seingalt, chevalier d'industrie, qui fréquentait les ouvriers, les artisans, les brodeuses, les marchandes à la toilette, le petit peuple des rues, cochers et porteurs d'eau, avec qui il était à tu et à toi comme avec le prince de Ligne [...] qui se mourait d'impatience pour avoir la suite de ses Mémoires. [...]
Casanova a même échappé à l'emprise des profs, des thèses, de l'Université, c'est pourquoi il est un éducateur incomparable de la jeunesse qui aimera toujours la vie et l'amour, les femmes et le vin, les aventures et la réussite, l'insubordination et le jeu, la société où l'on s'encanaille et le monde, les affaires d'honneur qui comportent un grain de folie, une entreprise aussi désespérée que celle de l'évasion des Plombs de Venise, l'argent que l'on jette par les fenêtres, un corps bien exercé et la façon de s'en servir avec esprit sinon avec scrupules, et comme notre bel aventurier n'a écrit dans aucune langue avouable, il ne peut être réclamé par aucune nation pour être déformé officiellement, réformé. Casanova a toujours couru sa chance et continue...
Blaise Cendrars Pro Domo, 1949