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Hargneux, pitoyables, agressifs, jobards ou rusés, les personnages courtelinesques sont entrés depuis longtemps dans le panthéon de notre imaginaire. Les soldats avec leurs pantalons garance, les fonctionnaires avec leurs ronds-de-cuir sortent tout droit de la fin du XIXe siècle ; pourtant il nous semble bien les avoir croisés hier encore, devant une caserne ou dans les bureaux d'une administration.
Soldat puis fonctionnaire, Georges Courteline (1858-1929) observa le petit monde qui l'entourait pour en extraire la moelle comique : le rire n'est-il pas l'arme suprême contre le désespoir ? De sa brève expérience militaire, il tira Les Gaîtés de l'escadron puis Le Train de 8 h 47, récits où les sous-offs avinés et les bleus terrorisés composent une humanité cruelle dont l'humour est la seule rédemption. Avec Messieurs les ronds-de-cuir, l'auteur traça le portrait sans retouche de la galaxie bureaucratique, avec ses manies et ses délires, ses excès et ses léthargies. Très vite, le théâtre accueillit l'univers coloré et réaliste de Courteline et le carnaval bigarré de ses figures immortelles : le bon gros Boubouroche et sa maîtresse trop rouée, les Boulingrin, éternels martyrs de la vie conjugale, La Brige, ce "philosophe défensif" en butte à la justice, monsieur Badin, malade imaginaire de la bureaucratie tentaculaire...
Toute sa vie, Courteline a croisé la plume avec la bêtise humaine, il n'a jamais décoléré contre l'insondable stupidité de ses semblables ; sa verve s'est sans cesse nourrie d'une intarissable rage, celle de la victime écrasée par l'immense machine administrative.
Emmanuel Haymann