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De ce voyage vers la Saguia el Hamra, nous avions parlé depuis la première fois que nous nous étions rencontrés. Les circonstances, nos occupations, nos préoccupations familiales, ainsi que la situation troublée dans laquelle se trouvait une grande partie du territoire des nomades Aroussiyine avaient rendu ce retour improbable, voire impossible.
Et voici que tout d'un coup, alors que nous n'y songions plus, le voyage devint possible. Il était venu à nous quand nous ne l'espérions plus. Nous pouvions en parler d'une façon très simple, comme s'il s'agissait de visiter une province lointaine.
Entendre parler les Aroussiyine, les approcher, les toucher.
De quoi vivaient-ils ?
Avaient-ils toujours des troupeaux de chameaux et de chèvres, élevaient-ils toujours des autruches ?
Combien étaient-ils ?
Avaient-ils changé au cours des siècles, depuis que Sidi Ahmed el Aroussi avait fondé la tribu ?
Nous voulions entendre résonner les noms que la mère de Jemia lui avait appris, comme une légende ancienne, et qui prenaient maintenant un sens différent, un sens vivant : les femmes bleues ; l'assemblée du vendredi ; les Chorfa, descendants du Prophète ; les Aït Jmal, le Peuple du chameau ; les Ahel Mouzna, les Gens des nuages, à la poursuite de la pluie.
Nous sommes partis sans réfléchir, sans savoir où nous allions, sans être même sûrs que nous y arriverions.
Jemia et J.M.G. Le Clézio