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«Mao Tsé-toung, qui pendant vingt-sept ans détint un pouvoir absolu sur un quart de la population du globe, fut responsable de la mort d'au moins soixante-dix millions de personnes en temps de paix, plus que tout autre dirigeant au XXe siècle.» Ces lignes, par lesquelles s'ouvre le livre de Jung Chang et Jon Halliday, annoncent clairement leur propos. On ne trouvera pas dans cette biographie un nouveau portrait, plus ou moins hagiographique, du Grand Timonier, dont l'apport théorique, résumé dans le Petit Livre rouge, et la praxis révolutionnaire «au service des masses» ont naguère fait tourner tant de têtes pensantes en Occident.
Mao Tsé-toung n'était mû ni par l'idéalisme ni par l'idéologie. S'il adhéra au marxisme-léninisme, c'est avant tout parce que cette doctrine lui permettrait de s'emparer du redoutable instrument de pouvoir qu'avait créé Lénine : le parti unique. Maître du Parti communiste chinois à la fin des années 1930, puis, en 1949, de tous les leviers de commande de son pays, après une guerre civile meurtrière et avec le concours décisif de l'URSS, Mao devint alors, comme l'a écrit Simon Leys, «le suprême despote totalitaire». Presque invisible, comme l'avaient été les empereurs, il imposa à son peuple un état permanent de mobilisation quasi militaire et une existence aride, périodiquement entrecoupée d'explosions de violence et de «campagnes de terreur» dévastatrices.
Mais cette terreur était aussi pour lui un moyen d'accomplir le dessein, tenu secret, qu'il nourrissait depuis son accession au pouvoir : faire de la Chine une superpuissance militaire, et dominer le monde. La poursuite de ce rêve entraîna la mort de trente-huit millions de ses compatriotes, au cours de la plus grande famine de l'Histoire. La mise en lumière de cet aspect essentiel, et méconnu, de son règne est sans doute la principale révélation qu'apporte ce livre, qui en compte beaucoup d'autres : sur la mythique Longue Marche, sur les liens étroits de Mao avec Staline, sur son comportement désinvolte mais non moins despotique avec ses épouses successives, ses enfants et ses maîtresses.
Fruit de dix années de recherches, en particulier dans des fonds d'archives long-temps inaccessibles, nourri de nombreux témoignages inédits, cet ouvrage se lit à la fois comme un récit d'horreur empoignant et comme un précis de philosophie politique digne de Machiavel. Nulle destinée ne saurait sans doute mieux que celle de Mao illustrer la brutale maxime de Lin Biao, qui fut longtemps son complice avant d'être sa victime : «Le pouvoir politique, c'est le pouvoir d'opprimer les autres.»