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Vingt ans après la mort de ma tante, Colette de Jouvenel, unique enfant de Colette et de mon grand-père Henry de Jouvenel, l'heure me paraît venue de publier la correspondance qu'elle échangea avec sa mère. Elle me la laissa avec mission de le faire «le plus tard possible». En quelque sorte elle s'en libérait. Il me fallut cependant une grande détermination. Les lettres ont pour moi un caractère si intime que j'en étais retenue. Colette elle-même ne s'écrie-t-elle pas à l'occasion de la vente d'une de ses lettres à Robert de Montesquiou-Fezensac : «Une lettre est un objet sacré qu'aucune vente ne doit profaner : c'est un scandale intolérable que de disperser aux quatre vents des pensées, des impressions, connues seulement de deux personnes.» Pendant longtemps aussi, j'ai reculé devant l'ardu travail de chronologie (Colette ne datait presque jamais ses lettres) : j'ouvrais les classeurs et les refermais comme un chirurgien au-dessus d'un cas désespéré. Si je me suis laissé convaincre d'ordonner les quelque six cent cinquante pièces de ce puzzle, c'est pour montrer un aspect de Colette inconnu et faire revivre la «Petite Colette» qui repose à côté de sa mère, au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. À mon tour, je me délivrais du poids d'un héritage exceptionnel...
Ce que je ne pouvais imaginer, c'est que les originaux allaient disparaître de chez moi, au moment même où le travail s'achevait et partait pour l'imprimerie. Un vol ciblé puisque seul le coffre qui les contenait a disparu. Cette correspondance, publiée dans son intégralité, forme le seul témoignage du lien unique entre Colette et sa fille, témoignage d'autant plus précieux aujourd'hui que les lettres sont à présent dans des mains indélicates. Puisse le cambrioleur se rappeler la phrase de Colette déjà citée plus haut...
Anne de Jouvenel