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«L'homme doit rester obscur», écrit Cézanne à l'extrême fin de sa vie. Pourquoi donc tirer Cézanne et son existence entière de l'ombre et en faire un livre ? C'est que l'espace de sa vie, à y regarder de près, est aussi important que l'espace tout court, celui qu'il n'a jamais cessé de parcourir, à la recherche du «motif», dans la lumière du pays d'Aix, face à un paysage dont la montagne Sainte-Victoire est à la fois l'horizon et le symbole.
La vie, c'est le monde des luttes et des échecs ; c'est le compagnonnage avec Zola - qui croira son génie avorté - et avec toute une cohorte de peintres et de poètes, dans une société où l'art doit se battre pied à pied pour vivre et affirmer son droit à l'avenir.
L'espace, c'est l'univers de la solitude et de la liberté tout ensemble, revendiqué contre l'époque, contre le quotidien, contre la famille, contre tout : un homme sauvage, timide et bourru, y rencontre des baigneuses nues au bord d'une petite rivière qui s'appelle l'Arc, voit au Jas de Bouffan, à l'Estaque ou à Gardanne - à Auvers-sur-Oise quelquefois aussi - des arbres convulsés, des toits rouges, des eaux vertes, des rochers ruisselants de soleil, déplace inlassablement sur un coin de table ou dans un compotier quelques pommes qu'il veut peindre.
Cette vie et cet espace appelaient recomposition, exploration, écriture, pour retracer l'histoire d'un citoyen d'Aix-en-Provence devenu le premier citoyen de l'art moderne.