Ajours : un rêve autobiographique

Exhumant une boîte de photographies datées de son enfance, Gérard Titus-Carmel se retrouve face à celui qu'incontestablement il fut mais qu'il estime avoir sans retour cessé d'être. Comment justifier cette immixtion de l'altérité dans le rapport à soi-même ? Comment accorder la netteté du souvenir, que ces images renforcent, avec la conviction qu'elles sont celles d'un autre ? Par quel procédé rendre compte de cette impression apparemment paradoxale : il a fallu arriver où l'on se tient pour pouvoir se reconnaître là d'où on est parti ; revendiquer ici la « solitude » comme sa condition essentielle pour pouvoir, là-bas, en identifier les ferments ?

La réponse de l'artiste à ce problème tient dans les pages de ce qu'il nomme « rêve autobiographique ». Ni autobiographie, ni mémoires, Ajours se veut une entreprise mémorielle où la vérité serait non celle du souvenir, mais celle de l'écriture elle-même, dotée d'exigences propres.

Les souvenirs de l'enfance sont sans mesure ni hiérarchie. Ils innervent dans le désordre une masse de temps révolu qui, même nourrie d'une solide mémoire et entretenue par les permanents rappels que le souvenir de certains moments, les plus saillants, relancent sans cesse, n'en finit pas de se désunir et de se déformer, c'est une moire se jouant de la pure chronologie, s'alimentant même des chevauchements et des glissements de terrain qu'elle occasionne et dont elle en froisse la matière. Ainsi je me vois conduit à me désencombrer de tout souci d'exactitude quant à l'inscription dans le temps et dans la durée des images et des faits rapportés ici. Également, je me désolidarise du strict déroulement chronologique, tentant seulement de donner, par laps successifs de temps disposés en écailles, une somme d'ingrédients qui, par leur jeu réciproque, fera tenir l'ensemble au sein d'une forme, disons d'une fiction, dont seul je peux me porter garant de la véracité des épisodes.