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Le public de langue française vient de découvrir enfin Wallace Stegner (1904-1993) en lisant Vue cavalière (Phébus, 1998), le roman qui lui avait valu en 1976 le National Book Award. Aux yeux des écrivains regroupés sous la libre bannière de l'école dite du Montana (ou du Missoula), cet Américain inclassable demeure la figure centrale - une sorte de père spirituel désenchanté - de la nouvelle littérature de l'Ouest. Un Ouest qui décline, entre humour, amertume et résignation, tous ses rêves de liberté mise à mal : un peu à la façon des héros de Conrad, fossoyeurs d'une aventure assassinée par le conformisme du troupeau.
Un couple des années 70 (c'est celui de Vue cavalière, quelques années plus tôt), fatigué de l'Amérique civilisée, s'en va planter sa tente dans un trou perdu de Californie, espérant y trouver un peu de paix et de silence. Le malheur est qu'ils ne sont pas les seuls à avoir eu cette idée, et qu'il n'est jamais facile, où qu'on soit, de voisiner avec ses congénères. Car les formes les plus sophistiquées de l'aliénation s'acclimatent partout, même au désert.
L'on croit avoir fait le tour des choses, s'être déshabillé de l'idéologie, de la mondanité, l'on croit avoir enfin trempé son âme, et voilà qu'un retour de jeunesse vous fait fondre comme neige au soleil. Surtout quand l'amour, celui qu'on n'a pas su donner, celui dont on se sent indigne, celui auquel on continue d'aspirer contre toute raison, vous est tout ensemble offert et retiré. Le cri de l'enfant qu'on était hier, de l'enfant puni qu'on est resté en cachette, a beau monter en vous - «Je ne le referai plus !» - il est trop tard. On souffre, on enrage, on voudrait pleurer, et puis un soupçon vous vient : et si cette contradiction, insupportable, s'appelait la vie, tout simplement ? La vie obstinément.
Stegner n'est pas loin d'être ici à son plus haut. Conclusion du Washington Post : «L'un des plus grands écrivains de cette fin de siècle.»