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Si la postérité s'est forgé une image un peu éthérée de l'écrivain libanais, il ressort de ces quelques soixante lettres échelonnées sur les trente dernières années de sa vie, une personnalité plus complexe, et plus concrète aussi. On découvre ainsi, comme on avait déjà pu le faire à travers certains de ses textes «politiques» réunis dans Mon Liban, qu'il fut un ardent défenseur de son pays, engagé dans tous les grands mouvements intellectuels syro-libanais aux États-Unis.
Le portrait qui se dessine à travers ce choix de lettres inédites est celui d'un artiste en proie aux affres de la création, selon la formule de Flaubert, tiraillé entre deux langues, l'arabe et l'anglais, deux mondes, l'Orient et l'Occident, deux femmes aussi, Mary et May. Mais on y voit surtout un écrivain habité par son oeuvre, traversé par une inspiration quasi mystique. Loin d'être la figure du sage que pourrait laisser croire Le Prophète, on découvre un homme capable de terribles colères, un amoureux platonique perpétuel, un ami extrêmement fraternel, un homme très tôt rongé par la maladie, une intelligence poétique suraiguë. Gibran, dépositaire d'une tradition séculaire, fut pourtant bien un homme de son temps, et à certains points de vue, un précurseur.