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«En posant le pied sur le rivage, je crus m'apercevoir que toutes les femmes allaitaient un enfant, le tenant tendrement serré contre leur poitrine. Je pensai que le marché aux légumes, aux fruits, aux oiseaux et aux huîtres était aussi le marché aux nourrices ; je fus curieuse de savoir ce que c'était qu'un enfant maori. Je levai le paillasson de la femme qui se trouvait le plus près de moi : elle allaitait un chien ! Je levai le paillasson de la seconde : elle allaitait un cochon ! Sur cinquante nourrices, il n'y en avait pas quatre qui allaitassent de vrais enfants ; toutes donnaient le sein à un cochon ou à un chien.»
Le Journal de madame Giovanni est une invitation à embarquer sur un navire qui déjà s'éloigne de son port d'attache ; toutes voiles dehors, vent arrière, il brise les flots du grand large : cap sur le Pacifique. À bord, une jeune femme accompagne fidèlement son mari, toutefois, on le devine au fil des pages, c'est elle qui trace la route. D'un ton léger, elle nous mène de péripéties en découvertes, sans négliger de nous livrer des descriptions aussi étonnantes qu'amusantes sur les moeurs des lieux où elle séjourne.
Si ce texte est signé Alexandre Dumas, il n'a pas pas jailli de son imagination. Il est bien la relation d'un voyage qu'effectua la comtesse Dash, femme de lettres notoire au milieu du XIXe siècle, et constitue à ce titre un témoignage passionnant sur des univers aussi différents qui s'ouvraient alors à l'Occident. De retour en France, elle confie à «un ami les notes de [son] journal de voyage». Dumas est en possession d'un récit qu'il doit travailler ; il insère des traits romanesques aisément identifiables. Nous savons également qu'il se soucie peu de la chronologie du voyage ; n'en doutons pas, il exalte la témérité du personnage, mais il le fait sans en altérer la fibre, sans s'autoriser à transformer un véritable témoignage sur des mondes qu'il ne connaissait pas. Alexandre Dumas s'est acquitté de sa tâche - peindre par le langage - avec la fidélité et le respect qu'un simple journal n'aurait pas requis s'il n'avait possédé deux qualités : sentir et voir.