Racine
La passion, chez Racine, joue le rôle du bourreau. Quand la pièce commence, il est déjà trop tard : la machine infernale s'est mise à fonctionner et toute l'intrigue ne consiste qu'à écouter, dissimulé sous des mots enchanteurs, son sinistre tic-tac.
En règle générale, les tragédies de Racine se terminent en désastre, et le plus souvent par la mort. Et la fin de Bajazet - pièce qui met en scène des contemporains, mais éloignés dans l'espace au lieu d'être éloignés dans le temps - est un véritable massacre.
L'auteur d'Andromaque, de Bérénice, d'Iphigénie est définitivement le plus grand tragédien de son temps - et peut-être de tous les temps. À la stupeur éblouie de ses contemporains, il peut être l'égal d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide qui apparaissent comme des maîtres et presque des demi-dieux.
Phèdre, la dernière tragédie profane de Racine, est, à mon sens, la plus belle de toutes. C'est un chef-d'oeuvre insurpassable où, selon la formule de Chateaubriand dans Le Génie du christianisme, « les orages d'une conscience toute chrétienne » se substituent à la fatalité païenne illustrée successivement par Euripide et par Sénèque, dont Racine d'ailleurs s'inspire largement.
Après s'être tu pendant douze ans, c'est Mme de Maintenon qui le ramènera à un théâtre strictement religieux et destiné au seul public des demoiselles de Saint-Cyr. Esther, mais surtout Athalie, sont encore et toujours des chefs-d'oeuvre.
Racine incarne le théâtre, bien sûr, et la tragédie classique. Mais aussi, et surtout, le plus parfait alliage entre la poésie et le théâtre.
Jean d'Ormesson de l'Académie française