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Grands et petits fonctionnaires qui n'ont d'existence que par leurs fonctions, mégères castratrices ou femmes idéales sur papier glacé, figures d'hommes persuadés de «peser» sur la vie et le monde mais toujours en rivalité avec d'autres qui ont encore «plus de poids», menteurs et arnaqueurs, parfois non dénués de talent, tels sont les personnages de Nikolaï Gogol.
Le décor de ses textes - car il s'agit bien d'un décor - n'est guère plus réjouissant : une métropole qui a poussé comme un champignon en un lieu insalubre et qui écrase l'individu, le poussant vers la mort ou la folie ; un territoire immense, sorte de gigantesque fondrière dans laquelle il est aisé de s'enliser et pourtant traversée par un véhicule qui file à vive allure : où va-t-il ainsi ? Vers quoi ? Pas de réponse...
L'ensemble paraît dramatique, sinon désespéré. Or, le mot, la phrase de Gogol font rire. Rire absurde, grotesque, qui peut être méchant ou débonnaire. Sous la plume de l'écrivain, les perspectives s'inversent, le grand se fait insignifiant, l'insignifiant se fait grand, l'humanité se désincarne ou part en morceaux. Comme l'avait bien vu Nabokov, entre le comique et le cosmique il n'y a chez Gogol qu'une lettre de différence... Ce n'est donc pas un hasard si Marc Chagall, avec son goût pour les calembours graphiques, ses personnages volants et son invraisemblable tendresse, a trouvé en Gogol un frère spirituel. À la demande d'Ambroise Vollard, Chagall livre en 1924 sa relecture des Âmes mortes en quatre-vingt-seize eaux-fortes, qui ne seront publiées qu'en 1948 par Tériade, pour le bonheur de quelques privilégiés, dans une édition de luxe à tirage limité.