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Depuis le comptoir d'un bar glauque de Los Angeles s'élève la voix, anonyme, de celui qu'on paie en ces lieux pour déverser nuit après nuit des fleuves d'alcool dans les verres que tendent vers lui les pochards, camés, prostituées, dealers et amateurs de combines dangereuses et illégales en tous genres, venus affaler sur un tabouret le corps déglingué qui abrite leur misère comme leurs espoirs ou les rêves baroques et téméraires dont ils réenchantent sans fin leur voyage au bout de la nuit.
Présentés comme une série de notes pour un roman à venir que rédige un barman au moins aussi allumé que ses hallucinants clients, les chapitres se succèdent au rythme, effréné, où l'alcool et la cocaïne se consomment dans de tels parages. D'emblée inclus dans cette spirale toxique, le lecteur partage bientôt les vertiges du narrateur-barman s'imbibant à son comptoir des fictions de sa propre vie...
Loin de succomber, pourtant, à l'égarement dont il semble être la proie, jamais ce spectateur prétendument innocent de la violence du monde et amateur de mystérieuses pilules blanches dont il agrémente ses nombreux whiskys quotidiens ne parvient à l'état d'anesthésie auquel il aspire. Et, aussi monstrueux et éperdus que paraissent ces réfugiés de la nuit, c'est toujours avec une tendresse certaine que son regard les fait surgir, par-delà leur déchéance et leurs défaillances, dans leur humanité profonde.
Servies par une écriture somptueuse, ces "ablutions" en forme de descente aux enfers constituent, sur le thème de la marginalité dans tous ses états, une variation brillante et originale dans laquelle le génie dionysiaque de l'affabulation investit une réalité dont l'écrivain a pu prendre toute la mesure pendant les six années qu'il a lui-même passées dans les fonctions exercées par son narrateur...