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Publié pour la première fois en 1955, l'article de John Rawls intitulé « Deux concepts de règle » est devenu un classique en théorie éthique contemporaine. On considère généralement que Rawls y défend un « utilitarisme de la règle » selon lequel seules les règles juridiques et morales devraient être soumises au test d'utilité. Si cette interprétation reçoit un assentiment majoritaire, c'est cependant à un double prix : d'une part, le rapport complexe que Rawls entretient avec l'utilitarisme classique y est grandement simplifié ; d'autre part, on y passe sous silence l'usage original que le philosophe américain y fait de la notion de règle. Sa traduction en français par Vincent Boyer est l'occasion de mettre en question ces deux points.
Le numéro se poursuit par un article de Pierre Rodrigo intitulé « Marx et la technique ». Titre paradoxal, puisque Marx n'est pas un penseur de la technique ; s'il analyse la Maschinerie et non la Technik, c'est pour montrer que la « machinerie » industrielle qui a puissamment contribué à imposer le mode de production capitaliste est la négation historique de la forme du métier, du savoir-faire, et donc de la tekhnè au sens grec. Au sein de la « division manufacturière du travail », la logique d'action des machines est, selon Marx, celle du savoir analytique de type scientifique rationnel affranchi de la « base technique » de l'habileté pratique. Ce modèle d'action aliénant n'a qu'une provenance : l'exploitation de classe découlant de la propriété privée des moyens de production.
Dans « La réalisation de la philosophie : Marx, Lukács et l'École de Francfort », Andrew Feenberg part de la thèse de la philosophie de la praxis selon laquelle les problèmes philosophiques fondamentaux sont des contradictions sociales insolubles que la philosophie traite cependant comme des antinomies d'ordre purement théorique. Il retrace les trois étapes essentielles de la philosophie de la praxis : elle commence pour lui avec la tentative que fait Marx, en 1844, de résoudre les antinomies présentes dans l'histoire, et se poursuit en 1923 avec Histoire et conscience de classe de Lukács, avant de se clore avec les travaux de Horkheimer, Adorno et Marcuse.
Enfin, dans « Ernst Mach, psychologue de la forme ? », Aurélien Zincq explore, à côté du pâle monisme neutre retracé par Russell et de sa prétendue paternité non reconnue vis-à-vis de la notion de Gestalt, une troisième voie pour interpréter le legs philosophique de Mach : un monisme neutre bien compris, qui enveloppe trois thèses. Tout d'abord, les sensations ne sont pas les ultimes composantes de l'expérience, mais demeurent indéterminées ; en outre, il n'est d'expérience possible que de ce dont j'ai un concept ; enfin, la notion de Gestalt exemplifie la problématique générale de l'identification perceptive d'un objet sous ses changements. Il n'y a donc pas de « mythe du donné » chez Mach, mais plutôt une théorie originale de l'expérience que l'auteur s'attache à caractériser.
D. P.