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Ce numéro s'ouvre sur la traduction, par Guillaume Lejeune, d'un texte de Francis Herbert Bradley intitulé « Une discussion de quelques problèmes en lien avec la doctrine de M. Russell ». Bradley est l'un des principaux représentants de l'idéalisme anglais, éclipsé par le pragmatisme et la philosophie analytique, et encore largement méconnu du lectorat francophone en dépit de son renouveau dans le monde anglo-saxon contemporain. La querelle entre Bradley et Russell, qui s'étend sur plusieurs textes, est centrée sur le jugement, la vérité et la nature des relations ; l'examen de ce texte permet de réviser l'idée répandue selon laquelle Bradley défendrait contre Russell l'idée de relation interne, et permet de cerner sa véritable position : toute relation ne peut être réelle indépendamment des termes qu'elle relie, et présuppose un tout non relationnel qui la fonde et la précède, dont elle n'est que la traduction ; elle appartient ainsi au domaine de l'apparence, et non de la vérité.
Suit la seconde partie du texte de Yasuhiko Sugimura, « Auto-éveil et témoignage », qui entend présenter au lectorat français la philosophie de l'Ecole de Kyôto - notamment celle de ses fondateurs Kitarô Nishida et Hajime Tanabe -, et montrant que loin d'être une synthèse idéalisée de la logique occidentale et de la sagesse orientale, il s'agit d'une philosophie du Néant absolu qui ne se rattache pas à la tradition bouddhiste ; il insiste ici sur les oppositions qui séparent les pensées de Nishida et Tanabe et, au fil conducteur des idées centrales d'auto-éveil et de témoignage, tente un rapprochement avec la pensée de philosophes français post-heideggériens tels que Levinas, Ricoeur et Derrida.
Le texte de Denis Thouard « L'humour de la fin » est centré sur Dieter Henrich, philosophe allemand contemporain et grand spécialiste de l'idéalisme allemand. Il est consacré à sa théorie de l'art, où, prenant le contrepied de Hegel et s'opposant aux discours de la fin - que ce soit de l'art, de la métaphysique ou de la subjectivité -, Henrich réhabilite la notion de subjectivité, montrant ainsi la pertinence de la pensée issue de l'idéalisme allemand pour l'intelligence de notre modernité : l'art, y compris moderne, explore et interprète la subjectivité, laquelle ne se réduit pas à la conscience de soi objectivante, mais présuppose un rapport à soi préalable qui n'est pas de l'ordre de la relation à l'objet ; l'art n'est nullement du passé, mais toujours actuel, en tant que milieu où se joue ce qui importe le plus à la pensée.
Enfin, dans « Représentationnalisme et langage privé », François Kammerer s'attache à la thèse dite du représentationnalisme qui, au regard de la conscience phénoménale, pose que les propriétés qualitatives d'une expérience consciente sont entièrement déterminées par ses propriétés représentationnelles ; de nombreux arguments ont été proposés en faveur de cette thèse, qui est devenue l'orthodoxie en philosophie de l'esprit contemporaine. L'auteur entend réfuter les arguments les plus significatifs, en se fondant sur des considérations de Wittgenstein sur l'impossibilité d'un « langage privé ».